« Ne tire pas ainsi ce fil !»
Le soulier de satin de Claudel.
En (très gros) résumé, éprise de Rodrigue mais mariée à Pélage, Doña Prouhèze, face à une statue de la Vierge, implore celle-ci de la protéger et lui confie en gage « son soulier de satin » : « quand j’essayerai de me lancer vers le mal que cela soit avec un pied boiteux. »
Une nuit, Doña Prouhèze entend la voix de Rodrigue, puis lui apparaît son Ange Gardien, le « fil » à la main.
Rideau
L’Ange Gardien
Regarde mieux. Que vois-tu ?
Doña Prouhèze
Rodrigue je suis à toi !
L’Ange Gardien
De nouveau le fil à mon poignet s’est déroulé.
Doña Prouhèze
Rodrigue je suis à toi !
L’Ange Gardien
Il entend, il s’arrête, il écoute. Il y a ce silence, il y a ce faible passage dans les palmes, il y a une âme du Purgatoire qui monte au Ciel.
Il y a cet énorme nuage au milieu de l’air arrêté, il y a ce soleil incertain qui éclaire les flots sans nombre, ce soleil dont on voit bien que ce n’est pas celui du jour, la lune sur l’Océanie !
Et de nouveau comme une bête captive par le taon pourchassée, je le vois entre les deux murs qui reprend sa course furieuse, son amère faction.
Ne s’arrêtera-t-il jamais ? Ah quelle route désespérée il a déjà piétinée entre ces deux murs
Doña Prouhèze
Je le sais. Nuit et jour, je ne cesse t’entendre ce pas.
L’Ange Gardien
Es-tu contente qu’il souffre ?
Doña Prouhèze
Arrête, dur pêcheur ! Ne tire pas ainsi ce fil ! Oui je suis contente qu’il souffre pour moi.
L’Ange Gardien
Crois-tu que c’est pour toi qu’il a été créé et mis au monde ?
Doña Prouhèze
Oui, oui ! Oui, je crois du fond de mon cœur que c’est pour moi qu’il a été créé et mis au monde.
L’Ange Gardien
Es-tu pour une âme d’homme assez grande ?
Doña Prouhèze
Oui, je suis assez grande pour lui.
L’Ange Gardien
Est-ce ainsi que tu me réponds au seuil de la mort ?
Doña Prouhèze
Frère, il faut faire mourir cette pauvre créature vite et ne pas souffrir qu’elle soit si bête davantage.
L’Ange Gardien
Qui te retient d’aller vers lui ?
Doña Prouhèze
C’est ce fil qui me retient.
L’Ange Gardien
De sorte que si je te lâchais…
Doña Prouhèze
Ah ! ce n’est plus un poisson, c’est un oiseau que tu verrais à tire d’ailes ! La pensée n’est pas si prompte, la flèche ne fend pas l’air si vite, que de l’autre côté de la mer je ne serais cette épouse riante et sanglotante entre ses bras ?
L’Ange Gardien
N’as tu point appris que c’est le cœur qui doit obéir et non pas matériellement la volonté par un obstacle astreinte ?
Doña Prouhèze
J’obéis comme je peux.
L’Ange Gardien
Il est donc temps que je tire sur le fil.
Doña Prouhèze
Mais moi je peux tirer en arrière si fort qu’il rompe !
L’Ange Gardien
Que dirais-tu si j te demandais entre Dieu et Rodrigue de choisir ?
Doña Prouhèze
Tu es, tu es un pêcheur trop habile.
L’Ange Gardien
Trop habile pourquoi ?
Doña Prouhèze
Pour faire sentir la question avant que la réponse soit prête. Où serait l’art de la pêche ?
L’Ange Gardien
Si je la posais cependant ?
Doña Prouhèze
Je suis sourde ! Je suis sourde !
Un poisson sourd ! Je suis sourde et n’ai point entendu !
L’Ange Gardien
Mais quoi, ce Rodrigue, mon ennemi, qui me retient que je ne le frappe ? Ce n’est point le fil seulement que ma main sait manier, mais le trident
Doña Prouhèze
Et moi je le cacherai se fort entre mes bras que tu ne le verras plus
Rideau
En (très gros) résumé, éprise de Rodrigue mais mariée à Pélage, Doña Prouhèze, face à une statue de la Vierge, implore celle-ci de la protéger et lui confie en gage « son soulier de satin » : « quand j’essayerai de me lancer vers le mal que cela soit avec un pied boiteux. »
Une nuit, Doña Prouhèze entend la voix de Rodrigue, puis lui apparaît son Ange Gardien, le « fil » à la main.
Rideau
L’Ange Gardien
Regarde mieux. Que vois-tu ?
Doña Prouhèze
Rodrigue je suis à toi !
L’Ange Gardien
De nouveau le fil à mon poignet s’est déroulé.
Doña Prouhèze
Rodrigue je suis à toi !
L’Ange Gardien
Il entend, il s’arrête, il écoute. Il y a ce silence, il y a ce faible passage dans les palmes, il y a une âme du Purgatoire qui monte au Ciel.
Il y a cet énorme nuage au milieu de l’air arrêté, il y a ce soleil incertain qui éclaire les flots sans nombre, ce soleil dont on voit bien que ce n’est pas celui du jour, la lune sur l’Océanie !
Et de nouveau comme une bête captive par le taon pourchassée, je le vois entre les deux murs qui reprend sa course furieuse, son amère faction.
Ne s’arrêtera-t-il jamais ? Ah quelle route désespérée il a déjà piétinée entre ces deux murs
Doña Prouhèze
Je le sais. Nuit et jour, je ne cesse t’entendre ce pas.
L’Ange Gardien
Es-tu contente qu’il souffre ?
Doña Prouhèze
Arrête, dur pêcheur ! Ne tire pas ainsi ce fil ! Oui je suis contente qu’il souffre pour moi.
L’Ange Gardien
Crois-tu que c’est pour toi qu’il a été créé et mis au monde ?
Doña Prouhèze
Oui, oui ! Oui, je crois du fond de mon cœur que c’est pour moi qu’il a été créé et mis au monde.
L’Ange Gardien
Es-tu pour une âme d’homme assez grande ?
Doña Prouhèze
Oui, je suis assez grande pour lui.
L’Ange Gardien
Est-ce ainsi que tu me réponds au seuil de la mort ?
Doña Prouhèze
Frère, il faut faire mourir cette pauvre créature vite et ne pas souffrir qu’elle soit si bête davantage.
L’Ange Gardien
Qui te retient d’aller vers lui ?
Doña Prouhèze
C’est ce fil qui me retient.
L’Ange Gardien
De sorte que si je te lâchais…
Doña Prouhèze
Ah ! ce n’est plus un poisson, c’est un oiseau que tu verrais à tire d’ailes ! La pensée n’est pas si prompte, la flèche ne fend pas l’air si vite, que de l’autre côté de la mer je ne serais cette épouse riante et sanglotante entre ses bras ?
L’Ange Gardien
N’as tu point appris que c’est le cœur qui doit obéir et non pas matériellement la volonté par un obstacle astreinte ?
Doña Prouhèze
J’obéis comme je peux.
L’Ange Gardien
Il est donc temps que je tire sur le fil.
Doña Prouhèze
Mais moi je peux tirer en arrière si fort qu’il rompe !
L’Ange Gardien
Que dirais-tu si j te demandais entre Dieu et Rodrigue de choisir ?
Doña Prouhèze
Tu es, tu es un pêcheur trop habile.
L’Ange Gardien
Trop habile pourquoi ?
Doña Prouhèze
Pour faire sentir la question avant que la réponse soit prête. Où serait l’art de la pêche ?
L’Ange Gardien
Si je la posais cependant ?
Doña Prouhèze
Je suis sourde ! Je suis sourde !
Un poisson sourd ! Je suis sourde et n’ai point entendu !
L’Ange Gardien
Mais quoi, ce Rodrigue, mon ennemi, qui me retient que je ne le frappe ? Ce n’est point le fil seulement que ma main sait manier, mais le trident
Doña Prouhèze
Et moi je le cacherai se fort entre mes bras que tu ne le verras plus
Rideau
1 Comments:
J'ai pleuré à ce passage lors de la représentation au Théâtre de la Ville.
J'avais pleuré et frissonné en le listant.
Et moi je le cacherai si fort entre mes bras que tu ne le verras plus...
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