lundi, avril 10, 2006

Saisir

Saisir, saisir le soir, la pomme et la statue,
Saisir l'ombre et le mur et le bout de la rue.

Saisir le pied, le cou de la femme couchée
Et puis ouvrir les mains. Combien d'oiseaux lâchés

Combien d'oiseaux perdus qui deviennent la rue,
L'ombre, le mur, le soir, la pomme et la statue.

Mains vous vous userez
A ce grace jeu là.
Il faudra vous couper
Un jour vous couper ras.

Ce souvenir que l'on cache dans ses bras, à travers la fumée et les cris,
Comme une ujjeune femme échappée à l'incendie,
Il faudra bien l'étendre dans le lit blanc de la mémoires
aux rideaux tirés,
Et le regarder avec attention.
Que personne n'entre dans la chambre !
Il y a là un grand corps absolument nu
Et une bouche qu'on croyait à jamais muette
Et qui soupire "Amour", avec les lèvres mêmes de la vérité.

Grands yeux dans ce visage,
qui vous a placé là ?
De quel vaisseau sans mâts
Etes vous l'équipage ?

Depuis quel abordage
Attendez-vous ainsi
Ouverts toute la nuit ?

Feux noirs d'un bastingage
Etonnés mais soumis
A la loi des orages.

Prisonniers des mirages
Quand sonnera minuit
Baissez un peu les cils
Pour reprendre courage.

Vous avanciez vers lui femme des grandes plaines,
Noeud sombre du désir, distances au soleil.

Et vos lèvres soudain furent prises de givre
Quand son visage lent s'est approché de vous.


Voilà on s'incline là devant c'est Supervielle, Le forçat innocent, Paris, NRF
1930, redécouvert récemment.